Nous sommes de plus en plus
nombreux à chanter, et pas seulement dans l’intimité de notre salle de bains.
Phénomène de mode ? Pas seulement. Chanter permet aussi de nous ouvrir à nos
émotions et de les exprimer en jouant sur le registre de notre propre partition
intérieure.
Aurions-nous contracté le virus du
chant ? En solo dans notre voiture, dans la chorale de notre quartier, sur le
plateau de la “Star Ac’”, auprès de professeurs chevronnés ou entre amis, nous
sommes de plus en plus nombreux à aimer entendre et faire entendre notre voix.
« Il semble y avoir un véritable engouement pour le chant aujourd’hui »,
confirme la chanteuse et compositrice Catherine Braslavsky. Ce n’est d’ailleurs
pas étonnant car chanter fait beaucoup de bien aux citadins souvent stressés
que nous sommes.
Serait-ce si simple de se faire
plaisir ? « Sincèrement, souligne la chanteuse, je ne crois pas qu’il existe
une parcelle de nous-mêmes qui ne soit pas touchée par le chant : corps,
émotion, mental… Les vibrations du chant nous synchronisent, nous harmonisent.
On se sent “unifié” comme par un massage. Sans oublier une dimension
spirituelle… On a les pieds bien ancrés dans le sol, mais notre voix, elle,
nous élève. Dans un groupe, cette spiritualité est également très présente. On
se sent porté par la voix des autres.
Ecouter
sa voix intérieure
Ancienne chercheuse en
mathématiques, Catherine Braslavsky est la preuve vivante que la voix est un
outil qui se forge et peut évoluer, même à l’âge adulte. Elle-même ne s’est
mise à travailler sérieusement son "petit filet de voix" qu’à 26 ans.
Difficile à croire lorsqu’on a entendu son timbre pur interpréter cet hiver,
sur la scène du Théâtre de l’île Saint-Louis, à Paris, ses compositions inspirées
des traditions sacrées de la Méditerranée. Mais cette passionnée en est
convaincue : tout le monde est capable de chanter juste. Au prix d’un peu de
technique et à condition de se mettre à l’écoute de sa "petite voix
intérieure", celle qui fredonne en nous lorsque nous nous réveillons le
matin avec un petit air dans la tête.
« Notre corps sait chanter »,
confirme Philippe-Nicolas Melot, qui refuse le titre de "professeur de
chant" et préfère dire qu’il « aide à faire naître les voix ». « A
condition toutefois de favoriser un état de conscience adapté, de lever les
blocages et de faire circuler les énergies, que l’on dépense, mais que l’on
gagne aussi en chantant. J’ai vu le comédien Jacques Weber arriver à une séance
complètement vidé et repartir une heure et demie plus tard en fredonnant dans
la cour… Chanter est réellement euphorisant. »
« Dans le chant, plus que la
“beauté” de la voix, c’est son rapport avec l’émotion qui nous touche »,
précise Catherine Braslavsky. Autrement dit, avant d’émettre de jolis sons, il
s’agit d’abord de se concentrer sur ses propres sensations, de refuser les
diktats et de trouver sa propre voix, sans chercher à imiter le timbre d’un
autre…
Un
bien-être physique et psychique
Bonne nouvelle pour tous ceux qui
ont envie de chanter : nul besoin de connaissances musicales particulières pour
tirer de sa voix un bien-être physique et psychique. Et l’âge ne change rien. «
Chanter a été pour moi une thérapie. J’ai l’impression de l’avoir toujours
fait. Enfant, le chant m’apaisait et m’a permis de canaliser mon trop-plein
d’énergie et une certaine violence », raconte Sylvie Kapeluche qui, depuis, n’a
jamais cessé de faire résonner sa voix de soprano léger – elle fête cette année
ses trente ans de scène. Sans aller si loin, chanter fait parfois partie d’une
véritable hygiène de vie.
« Si j’exerce mon métier de
professeur d’allemand avec autant de plaisir et sans trop de stress, c’est
notamment parce que je chante en chorale une à deux fois par semaine, confirme
Christine, 40 ans. Cette pratique m’a permis d’apprendre à mieux poser ma voix,
ce qui m’est très utile lorsque je dois élever le ton. Contrôler ma voix en
évitant le dérapage dans les aigus me permet aussi de rester maître de moi. »
Sans oublier le bien-être physique
sur lequel tous les chanteurs insistent. « Après deux heures de chant, je suis
vidée, comme après avoir fait du sport, et je dors comme un bébé. C’est mon
yoga à moi », poursuit Christine. « Le travail de la respiration est très
physique, explique Catherine Braslavsky. L’inspiration part du ventre, remonte
jusqu’aux clavicules. Puis le thorax se vide et le son glisse et s’appuie sur
le souffle. Lorsqu’on chante, on a vraiment l’impression de surfer sur cette
vague de la respiration. »
Accoucher
en chantant
Dans les années 60, Marie-Louise
Aucher est la première à utiliser la voix comme technique de mieux-être, après
avoir mis en évidence que les vibrations de la voix se propagent dans le corps
à travers le squelette, avec des effets physiques et psychologiques. Elle pose
ainsi les premiers jalons de la "psychophonie", qui trouve une de ses
applications auprès des femmes enceintes. Car l’expérience le prouve, accoucher
en chantant, ça fait moins mal ! « Les vibrations sonores au niveau du cerveau
vont augmenter la sécrétion des endorphines, ces neuromédiateurs inhibant la
douleur et donnant une sensation de bien-être », explique Samira Ben Hadj
Yahia, gynécologue obstétricienne formée au chant prénatal.
Enceinte, Anne-Sophie, 34 ans, a
suivi des cours. « Ça été très bénéfique car le chant prénatal développe le
souffle, primordial lors de l’accouchement. En produisant des sons graves et
doux, on se concentre sur sa voix et sur les vibrations qui se propagent dans
le corps. On a l’impression d’envelopper le bébé d’un univers de sons
apaisants. Je n’ai pas osé chanter durant l’accouchement, mais j’avais une
bonne conscience de ma respiration, ce qui m’a été très utile pour accompagner
la descente du bébé dans le bassin. »
Lâcher
prise
Bien sûr, les vertus du chant ne
se limitent pas à ces aspects physiques et vibratoires. « Le choix du
répertoire permet d’exprimer ses émotions et d’apprendre à les gérer »,
remarque Colette Billaux, psychophoniste. Autrement dit, panser ses chagrins en
chantant les classiques de Barbara ou se doper le moral sous la douche en
interprétant les airs de Verdi est également salutaire !
Cependant, une fois sorti de
l’intimité de la salle de bains, reste à franchir une étape indispensable : oser
! Car s’exposer aux regards – et aux oreilles – peut être une véritable
épreuve. « Chanter devant quelqu’un d’autre, c’est accepter de perdre le
contrôle. Le pas est encore plus difficile à franchir si, durant toute votre
enfance, on vous a seriné que vous chantiez faux », explique Mathilde, 37 ans,
qui a pris des cours de chant particuliers avant de se sentir prête pour un
stage collectif.
« Lorsque l’on chante, on parvient
à se laisser aller dans le plaisir de l’instant présent et à se couper du
mental. C’est une des raisons pour lesquelles chanter fait autant de bien »,
remarque Philippe-Nicolas Melot. Savourer le bonheur d’être là, tout simplement
? « Je répète souvent à mes élèves de ne pas avoir peur de lâcher prise même si
leur voix les surprend, souligne Sylvie Kapeluche. Et que le chant, c’est aussi
tout ce qui se passe dans les silences. Je reste persuadée que ce n’est pas un
hasard si tant de jeunes veulent participer à “Star Academy”. Ce n’est pas
seulement pour passer à la télé et gagner de l’argent : c’est également parce
que chanter rend vraiment heureux. »
Par
où commencer ?
Vous chantez faux :
primo, chanter faux n’empêche pas d’éprouver du plaisir et de se sentir détendu
à l’issue d’un récital en solo dans sa voiture ! Secundo, chanter juste
s’apprend. Pour travailler la technique vocale (dans les conservatoires
municipaux, structures associatives, privées, chez les psychophonistes, etc.),
prévoyez un cours individuel de trente minutes à une heure par semaine, assorti
d’un travail quotidien d’environ
une demi-heure (s’il vous faut également étudier le solfège, comptez
une heure ou une heure et demie de cours hebdomadaire, sans oublier le travail
à faire chez soi).
Vous ignorez le solfège : à
condition de chanter juste, on peut vraiment se faire plaisir en chantant en
chœur. Dans de nombreuses chorales, le travail se fait "à l’oreille".
Il n’est donc pas obligatoire de savoir déchiffrer une partition.
Vous hésitez sur le répertoire :
classique, baroque, romantique, variétés, jazz… C’est une affaire de goût.
Sachez que, en général, plus le chœur est d’un niveau soutenu, plus il se
spécialise, et que certains répertoires, comme le jazz vocal, impliquent une
technique particulière ou la pratique de l’improvisation.
Chanter pour mieux se connaître
En dehors des chorales et des
cours de chant, il existe des lieux de pratiques vocales destinés à ceux qui
souhaitent prendre conscience de leur respiration, améliorer leur posture,
explorer leur personnalité et découvrir la puissance créatrice de leur corps.
Marie
Auffret-Pericone
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